November : conte de fées cruel à la mode estonienne
Un film de Rainer Sarnet (2017) projeté à l'Inalco le 6 novembre 2024.
Cet article fait partie du deuxième numéro du Hungry Boowkorm. Pour le sommaire, c’est ici.
La peste est un cochon, les outils agricoles sont un hélicoptère, et les morts reviennent gifler les vivants malpolis.
Le monde de November (Rainer Sarnet, 2017), adapté du roman Les groseilles de novembre d’Andrus Kivirähk, a de quoi déconcerter. Dans l’Estonie du 19e siècle, un village de paysans tente de survivre en extrayant sa pitance d’une forêt hostile, sous le joug d’un baron prussien à moitié fou. On pourrait être chez Dickens, sauf que les travaux des champs sont exécutés par des esclaves magiques fabriqués en déchets agricoles biscornus.
Si toutes les images classiques du gothique sont là – le loup-garou, la jeune fille en robe blanche éthérée, les bois obscurs et le pacte faustien – November parvient à éviter le déjà-vu et la facilité : ces incontournables sont complétés par des monstres d’une toute autre facture, inattendus et grinçants. Quand on appelle le diable, c’est un viking cinglé qui répond. Le kratt, monstre fabriqué de vieilles lames de faux, vous sert poliment le thé – sauf quand il pleut, car le mauvais temps lui tape sur les nerfs.
Les voisins lorgnent sur vos possessions, tous les coups sont permis surtout s’ils sont magiques (avez-vous déjà lancé un poulet mort sur la fenêtre de votre rivale ?), et même le curé perd la boule ; au milieu de ce chaos, Liina aime Hans, et Hans en aime une autre. C’est là le vrai sujet de November, plus que l’univers désaxé qui les entoure. Les amours des héros détonnent par leur simplicité dans la veulerie d’un monde teinté de magie noire.
« Vous êtes faits l’un pour l’autre, avec votre cœur gelé, » dit un villageois à la jeune fille prostrée de chagrin. C’est cette évidence d’un amour franc et sincère qui relègue les ténèbres au second plan et fait de November, plutôt qu’un film d’horreur, un conte gothique d’une grande poésie.
La photographie en noir et blanc signée Mart Taniel et le traitement audacieux de l’image participent de cette ambiance mi-féerique, mi-psychotique, où le spectateur ne sait jamais sur quel pied danser. Un bonhomme de neige raconte l’histoire d’un prince vénitien qui, dans un décor en plastique kitsch, offre un anneau en gage d’amour à une princesse trop maquillée. Une partie de l’image est en négatif, le décor est trop blanc, les couleurs trop contrastées. Un instant plus tard, nous sommes de retour dans les ténèbres de la forêt estonienne, où le paysan sale et pauvre ronchonne : « Donner une belle bague comme ça ? C’est complètement con. Il est stupide ou quoi ? »
Le tout est servi par des airs de musique classique judicieusement choisis : l’inévitable Sonate au clair de lune de Beethoven, mais aussi des pièces du compositeur estonien Konstantin Türnpu et de la soprano et compositrice contemporaine Katrin Lohuaru.
Ajoutez encore un riff récurrent de guitare cradingue à la mode black metal, et vous aurez un film bizarre, qui ne ressemble à rien de connu ; une histoire d’amour flippante et sans compromis, un conte de fées détraqué, un film d’horreur qui ne fait pas peur, et un arrière-goût de cendre et d’absolu.
November sera projeté à l’Inalco le 6 novembre 2024. Plus d’informations ici.