Cet article fait partie du numéro 4 du Hungry Bookworm, consacré à l’Italie. Pour le découvrir, c’est ici.
Je découvre le travail de Maïa grâce au PEN Club de France : sa traduction de Nocturne de Gibraltar, de Gennaro Serio, apparaît dans la sélection finale du prix Roman-récit-nouvelle en traduction.
J’échange avec elle en visio, elle à Lyon et moi à Paris ; et même à travers l’écran, son enthousiasme est communicatif quand elle parle du livre. “C’est un ouvrage qui peut être très drôle, comme dans le championnat du monde de détectives littéraires.” Hercule Poirot, l’inspecteur Maigret et d’autres s’affrontent dans une pseudo-enquête littéraire. “Ce n’est pas forcément une lecture grand public, mais c’est complètement foldingue !” Un festival de réflexions métalittéraires menées tambour battant et avec humour, donc. “De nombreux ouvrages clefs de la littérature italienne mènent une réflexion de fond sur le langage, remarque la traductrice. Peut-être parce que l’italien moderne est une langue plutôt jeune ?”
On l’aura compris, le métalittéraire hardos ne fait pas peur à Maïa, et il faut dire qu’elle a un profil de compétition : agrégée d’italien, passée par l’Ecole de Traduction Littéraire après avoir travaillé un temps comme bibliothécaire, elle connaît le monde du livre sous toutes ses facettes.
D’ailleurs, parler de la traduction fait naître sur ses lèvres un sourire gigantesque : “Les mots ont quelque chose de très sensoriel, ce n’est pas du tout quelque chose d’abstrait. C’est particulièrement vrai dans le cas de l’italien, qui a des mots plus précis que le français pour désigner les nuance de bruit, de lumière… Dans mon travail, j’essaie vraiment de mettre le doigt sur ce que chaque mot produit comme effet, plutôt que sur sa signification littérale.”
Cette sensorialité de l’italien passe aussi par l’oralité : la langue est marquée par des accents et traditions linguistiques venus de l’ensemble de la péninsule. “Comment rendre cette musique si particulière ? C’est un défi qui ressurgit toujours lorsqu’on traduit depuis l’italien.” Certains ont d’ailleurs fait de cette question un pilier de leur activité de traduction et de recherche, comme Christophe Mileschi, professeur à Paris 10 et traducteur de Manzoni, Italo Calvino ou encore Guido Buzzelli.
Dans la traduction des dialectes, il existe plusieurs approches. L’une d’elle est strictement géographique : “je repense à un texte qui utilisait le dialecte du Frioul, une région du Nord-Est de l’Italie. Le passage a été traduit en utilisant le dialecte lorrain, puisque la Lorraine est dans le Nord-Est de la France. Moi, je ne trouve pas ça complètement satisfaisant, car le rapport aux accents est complètement différent entre la France et l’Italie. En France, évoquer les accents peut faire penser à quelque chose de drôle et d’un peu folklorique, à la Bienvenue chez les Chtis ; en Italie, en revanche, c’est une couleur, une tonalité qui imprègne la parole.”
Cette question des accents et dialectes me fait tout de suite penser à l’auteur de BD Zerocalcare, dont la langue imprégnée d’oralité a été traduite par Brune Seban. Et ça tombe bien, parce qu’en termes de bande dessinée, Maïa en connaît un rayon : elle en traduit plusieurs. Elle m’explique que deux traditions se sont longtemps côtoyées dans la BD italienne : d’une part, un format qui rappelle les comics américains, avec des personnages dont les aventures sont développées sur le très long terme, comme Dylan Dog ; d’autre part, des univers plus poétiques, comme ceux d’Hugo Pratt ou de Milo Manara. “Récemment, une nouvelle génération a émergé avec des auteurs qui sont au croisement de ces deux traditions, comme Zerocalcare justement, avec un style un peu graffiti dans le dessin.”
Je suis surprise car, malgré le temps incompressible et scandaleux que je passe à lire des BD au lieu de travailler, je n’ai jamais entendu parler de Milo Manara ou Dylan Dog. Maïa apaise ma conscience : “la BD italienne est assez mal connue en France car elle est peu traduite.” Et inversement : si le franco-belge existe en Italie, il est bien moins populaire que dans d’autres pays européens, car la production locale est florissante et de qualité.
Alors, traductrice, un métier de rêve ?
“C’est un beau métier, mais très solitaire. Notre activité est difficile à percevoir pour les gens, puisque notre travail est souvent invisibilisé. Alors c’est important de faire partie de réseaux de traducteurs, d’avoir des personnes sur lesquelles s’appuyer. Cela nous donne une force et une légitimité.” Elle fait d’ailleurs partie du CA de l’ATLF, l’Association des Traducteurs Littéraires de France.
Discuter avec des collègues, c’est toujours très enrichissant, ce n’est pas moi qui dirai l’inverse : après cet échange avec Maïa, j’ai une très, très longue liste d’idées lecture en italien. D’ailleurs je vous laisse, c’est l’heure d’aller à la Libreria dépenser tout mon fric en bouquins !