Rencontre : les Éditions de la Cerise
Spécialité : les auteurs dont la patte graphique vous met un poing dans la tronche.
Cet article fait partie du Hungry Bookworm numéro 3, consacré aux métiers de la BD. Sommaire ici.
Ce qui est bien, avec les festivals de BD, c’est qu’on a le droit d’aller embêter les éditeurs (et en général, comme ils sont gentils, ils ne nous disent pas d’aller nous faire cuire un œuf). J’ai donc éhontément profité du festival SoBD, qui avait lieu fin novembre à Paris, pour aller poser tout un tas de questions indiscrètes à Guillaume Trouillard, des Éditions de la Cerise.
Dans le numéro du Hungry Bookworm consacré à la Pologne, le traducteur Erik Veaux nous avait parlé d’un livre un peu bizarre qu’il avait traduit pour les Éditions de la Cerise : Andzia, ou une parodie des réflexions moralisatrices pour enfants du 19e siècle écrite par un prêtre polonais (bigre).
Et ça tombe bien, les livres un peu bizarres, inattendus et merveilleux, c’est la ligne éditoriale des éditions de la Cerise. “Je ne publie que des auteurs qui me plaisent, explique Guillaume Trouillard. Le plus souvent, ce sont des auteurs que je repère sur Instagram, avec un style très personnel.”
La Cerise a commencé sous forme de Clafoutis (la maison n’est pas avare de jeux de mots) : une revue d’arts graphiques fondée par Guillaume Trouillard en 2003. Le but : publier les créations d’artistes qui, comme lui, sont passés par les Beaux-Arts d’Angoulême, mais aussi tout ce qui leur parle et les inspire. Vingt ans plus tard, le clafoutis a bien monté et son édition anniversaire des 20 ans passe en revue une galerie de trésors graphiques qui vont des miniatures persanes aux planches astronomiques.
Pendant ce temps, les Éditions de la Cerise se développent. Une partie de la collection est constituée du travail de Guillaume Trouillard, avec des œuvres incongrues comme Le Cas Lilian Fenouilh (Pitch : “L’homme et la soupe n’ont pas toujours marché main dans la main”) ou, plus récemment, un leporello qui retrace l’histoire de la Basse-Navarre depuis l’époque préhistorique jusqu’à nos jours. La majorité de la collection, ce sont les œuvres d’artistes dont la patte graphique a tapé dans l’œil de la maison d’édition. Des œuvres aussi disparates que Dog de Vincent Perriot, qui raconte les errances d’un SDF dans New York, et Akira Yamaguchi : chroniques d’un Japon merveilleux, ouvrage bilingue franco-japonais qui rend hommage au travail d’un maître de la peinture nippone.

Devant le stand des Éditions de la Cerise, je m’extasie devant les magnifiques couvertures des ouvrages : “comme nous sommes dans la région de Bordeaux, nous sommes environnés de producteurs de vin, explique Guillaume. Alors nous travaillons souvent avec des imprimeurs qui font les étiquettes des vins de Bordeaux,” dit-il en me montrant les dorures de la couverture d’Aquaviva.
“Nous avons un fonctionnement assez unique, ajoute-t-il. Cela nous permet de ne pas avoir la pression de publier chaque année plusieurs ouvrages pour renflouer les caisses. Si je ne publie rien pendant un an, et que l’année suivante je publie quatre ouvrages, ce n’est pas un problème. Ainsi, je peux fonctionner vraiment au coup de cœur, et ne pas être obligé de publier des choses qui ne me plaisent pas.”
Résultat : une ligne éditoriale exigeante, pleine de mystères et de trésors, qui ne s’embarrasse pas de plaire au tout-venant et s’est construit, au fil des ans, un catalogue en forme de pays des merveilles.
(Note : j’aurais aimé terminer cet article sur une expression drôle à base de cerise, mais elles sont toutes nulles. Si vous avez une idée, envoyez-moi un message SVP.)
Liste de lecture
Przemyslaw Truscinski & Piotr Mankowski : Andzia, trad. Erik Veaux
Andzia, c’est un conte moralisateur qui n’en est pas un : écrite par un prêtre du XIXème siècle à l’intention de ses nièces et neveux, cette fable loufoque parodie les histoires pieuses en vogue à l’époque pour apprendre la vie aux enfants. Le noir-et-blanc baroque de Przemyslaw Truscinski en fait un livre étrange et fascinant.
Et en plus, il a été traduit par Erik Veaux, dont nous avons parlé dans un précédent numéro du Hungry Bookworm.
Jeremy Bastian : La Fille Maudite du Capitaine Pirate, trad. Patrick Marcel
Si vous voulez un voyage dépaysant et moins dangereux qu’une croisière sur le Costa Concordia, une seule solution : achetez la Fille Maudite du Capitaine Pirate.
Sous le trait obsessionnellement détaillé de Jérémy Bastian, l’héroïne part à la recherche de son défunt papa, disparu dans les mers d’Omerta. Elle rencontrera un duo d’espadons colériques, une patate avec des pieds (“T’approche pas de c’te patate,” la prévient-on, “l’est dangereuse”) et tout un tas de monstres bizarres et fascinants, merveilleusement traduits par Patrick Marcel. Le tout sous une plume incroyablement inventive et tellement dingue de minutie que, même après 18 relectures, je ne suis pas sûre d’avoir capté tous les détails.
On notera que c’est Guillaume Trouillard lui-même qui a fait le lettrage, et ça vaut son coup de chapeau, parce que c’est très réussi.
Linnea Sterte : Une rainette en automne (et bien plus encore…), trad. Astrid Boitel
Une histoire très poétique qui a reçu, s’il vous plaît, le prix Fauve Révélation à Angoulême en 2023. Une rainette et deux crapauds partent à l’aventure, leur baluchon sur l’épaule, et découvrent les merveilles et les dangers de la vie de batracien, le tout sous le trait délicat de l’autrice suédoise Linnea Sterte.
Pour en savoir plus sur les Éditions de la Cerise, rendez-vous sur leur site web.